Du cockpit à la salle d’opération

En tant que pilote et travaillant dans le milieu hospitalier, je ne peux qu’approuver cet philosophie et méthodologie. Avant un décollage, l’équipage d’un avion vérifie méthodiquement une série de paramètres de vol. Cette forme de communication structurée, qui se base notamment sur des check-lists, inspire le milieu hospitalier et notamment le CHUV.

D’une précision qui se perd dans les méandres de la transmission de consignes entre équipes à l’omission de certains points cruciaux à vérifier avant toute intervention chirurgicale, divers défauts d’attention légers peuvent avoir des conséquences très lourdes dans un hôpital. Il est ainsi admis que «60% des erreurs médicales sont causées par une mauvaise communication», indique Nahid Yeganeh-Rad, coordinatrice de la qualité et de la sécurité des soins au CHUV.

Dans le transport aéronautique également, la précision des communications est une question de survie. Le secteur a adopté, dès les années 1950, des techniques qui optimisent la transmission d’informations entre et au sein des équipes en vol et au sol. «Des check-lists existent pour chaque opération avant et pendant le vol, explique Timothy Kriegers, fondateur et président de l’association Pilotesuisse et pilote de ligne sur Airbus. Elles s’adaptent après chaque incident ou accident important, comme la collision entre deux Boeings 747 à Tenerife en 1977 ou l’amerrissage d’un Airbus A320 sur l’Hudson en 2009.» Des outils spécifiques permettent d’agir efficacement en cas d’événement inattendu. «La méthode SPORDEC (Situation-Action préliminaire-Options-Réflexion-Décision-Exécution-Contrôle) a pour but d’assurer une réflexion non biaisée et une prise de recul par rapport à une situation, explique le pilote. Elle réduit le stress d’une personne qui doit gérer une crise et lui évite de se limiter à une vision étroite.»

Ces méthodes se sont progressivement diffusées dans d’autres environnements professionnels où des gestes potentiellement risqués sont pratiqués. Née aux États-Unis, la méthode TeamSTEPPS adapte aux réalités hospitalières certaines procédures employées dans l’aviation. Les outils qui la composent répondent à plusieurs nécessités : l’organisation (définition du rôle de chacun), la communication (voir encadré), le leadership (briefing, concertation, débriefing), le monitorage de la situation et le soutien mutuel. «En 2017, la Direction générale du CHUV a décidé de mettre en place un protocole qui sécurise certaines transmissions orales lors des processus critiques», explique Nahid Yeganeh-Rad. Cinq outils tirés de TeamSTEPPS ont été privilégiés par l’institution et seront intégrés dans différents services. L’application s’étalera sur trois ans, de 2019 à 2021, à commencer par les soins intensifs et les urgences, avant de s’étendre aux soins intermédiaires, puis, pour finir, aux soins de longue durée. Si 1100 collaborateurs médico-infirmiers ont déjà été formés, à terme, ce sont plus de 4’000 collaborateurs qui emploieront les outils. L’apprentissage s’effectue par une session d’e-learning de deux heures. Un accompagnement sur la durée, avec des séances de simulation et de coaching, complète cette formation de base.

Applications diverses selon les services

Parmi les cinq outils retenus par le CHUV, le Service de médecine interne utilise le protocole IPASS, dont l’objectif est de passer le relais de manière optimale lors des changements d’équipes. Les cinq lettres de cet acronyme correspondent à autant d’actions à engager ou d’informations à transmettre au sujet de l’état de santé d’un patient (voir encadré). «Même s’il ne s’agit pas d’une solution miracle, un tel procédé met clairement en évidence les points essentiels à surveiller», évalue David Gachoud, médecin associé au Département de médecine. Le respect du protocole permet de révéler l’instabilité d’un cas. Ainsi, la nouvelle équipe saura qu’elle devra porter une attention particulière à certains indicateurs. «On signalait déjà quelles étaient les actions à entreprendre précédemment, mais nous procédons dorénavant de manière plus structurée, en stipulant qui fait quoi. L’anticipation des risques, elle aussi, permet de discuter de chaque situation de manière plus systématique.» Il faut compter 30 minutes pour assurer le passage de relais pour les seize patients alités dans l’unité des soins intermédiaires du Service de médecine interne du CHUV, soit plus ou moins le même temps qu’avant l’intégration de ce mode de transmission structuré.

Check-list avant le décollage en salle d’op’

Autre outil hérité de l’aéronautique, la check-list de sécurité interventionnelle vise à vérifier que toutes les mesures nécessaires ont été correctement effectuées, avant, pendant et après une intervention. Cette rigueur vise particulièrement à éviter les «never events», des événements indésirables totalement évitables aux graves conséquences, comme l’opération de la mauvaise jambe d’un patient. «Notre check-list est basée sur celle de l’Organisation mondiale de la santé, qui existe depuis de nombreuses années», explique Antoine Garnier, membre de la Direction médicale du CHUV.

En 2009, Atul Gawande, un chirurgien américain, a publié «The Checklist Manifesto», qui fait l’apologie d’une telle discipline (voir encadré). En 2013, la Fondation suisse de sécurité des patients a mené un projet d’approfondissement visant à appliquer cet outil dans les hôpitaux du pays. L’Hôpital de l’enfance du CHUV figurait parmi les dix établissements pilotes de Suisse. Depuis, cette pratique a été instaurée dans tous les services interventionnels de l’institution vaudoise. «Il s’agit surtout d’un moment où toute une équipe se réunit autour de la sécurité du patient, analyse Antoine Garnier. Lorsque chaque membre de l’équipe participe attentivement, on peut partager la détection des risques et être plus efficace pour éviter des incidents critiques.»

De même, à bord des avions de ligne, chaque point est vérifié de manière systématique, de la fermeture des portes par les pilotes à la présence d’un mégaphone dans l’habitacle par le chef de cabine et ses hôtesses. Des termes extrêmement précis et internationalement reconnus ont été définis pour assurer la communication entre le personnel au sol et la cabine de pilotage. «On dit que 80% de la communication tient du non-verbal, évoque Timothy Kriegers. En n’ayant pas de contact visuel avec la tour de contrôle, ni même avec son copilote, puisqu’on regarde devant soi, chaque mot que l’on prononce est extrêmement important.»

À l’heure du bilan

Au CHUV, la communication structurée et efficace portée par la méthode TeamSTEPPS rassure les employés. «Ils disent quitter leur travail plus sereins», souligne Nahid Yeganeh-Rad. Celle qui coordonne la mise en place de la méthode observe même un «enthousiasme rare», avec certains services qui décident de l’adopter avant la date prévue par le calendrier établi.

Cela dit, il ne s’agit pas de remplacer une routine par une autre. La check-list de sécurité interventionnelle, employée depuis plusieurs années, fait ainsi l’objet d’une révision. «Il faut veiller à ce que ces pratiques gardent leur sens, prévient Antoine Garnier. Il ne doit pas s’agir d’une to-do-list à remplir machinalement, mais d’un vrai moment d’échange.»

Source : Stéphanie de Roguin