English Only dans l’espace aérien suisse : NO

En juin 2017, les Chambres fédérales ont introduit le texte suivant dans la loi sur l’aviation : « Les communications radiotéléphoniques avec le service de la navigation aérienne s’effectuent en principe en anglais dans l’espace aérien suisse. Le Conseil fédéral peut prévoir des exceptions si la sécurité de l’aviation l’exige ».

Le principe « English Only » ainsi ancré dans la loi est entré en vigueur le 1er janvier 2019. Le Conseil fédéral n’a accordé que de minimes exceptions. L’OFAC a laissé entendre qu’une publication du nouveau régime fixerait une application à compter du 20 juin 2019.

Dans les faits et en résumé, seule la langue anglaise devrait être pratiquée dans les CTR, TMA, RMZ et FIZ, à l’exception de certains espaces aériens transfrontaliers ou délégués à une entité étrangère.

En Romandie, Sion est évidemment un cas emblématique : de nombreux pilotes basés seraient cloués au sol : soit ils ne sont pas titulaires des titres leur permettant de s’exprimer à la radio en anglais, soit ils ne maitrisent pas la langue anglaise. Et les pilotes extérieurs dans la même situation ne viendraient plus à Sion ni ne traverseraient la CTR ou la TMA. La direction de l’aéroport de Sion, ville officiellement francophone, a déclaré ne rien pouvoir entreprendre contre cette règle. A l’aéroport de Genève pourtant, avec 187’000 mouvements annuels, le trafic radio restera bilingue, offrant comme jusqu’ici le choix de parler français ou anglais ! Au-delà de Sion, de nombreux pilotes suisses, romands et français en particulier, sont concernés par ces restrictions annoncées.

Dans le but d’éviter la mise en application de cette règle et de corriger le tir, un mouvement s’est dessiné ce printemps au sein de la communauté vélivole suisse romande. Ce mouvement a pris de l’ampleur et s’est étendu aux pilotes de vol à moteur également. Avec le support de ressources juridiques spécialisées dans le domaine, les recherches entreprises ont rapidement démontré combien la décision de « l’English Only » était aussi mauvaise qu’injustifiée, contraire au droit international et à la Constitution fédérale.

Les arguments s’opposant à cette règle « English Only » sont multiples, en voici quelques-uns :

En droit international, un des principes applicables mondialement aux transmissions radio dans l’aviation est celui de l’usage de la langue locale et de l’anglais. La règle figure dans une annexe de la Convention de Chicago sous forme de norme. Une norme s’impose aux Etats membres.

Avec « English Only », les autorités suisses naviguent à contre-courant. Dans un document officiel, l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (OACI) souligne que le monolinguisme n’a plus cours. L’OACI rappelle aussi le caractère additionnel de la langue anglaise, mettant même en garde contre l’idée consistant à rendre la langue anglaise exclusive.

En droit européen, rien n’impose la langue anglaise dans une telle mesure. Le règlement SERA Partie C stipule dans son paragraphe 14015 que la langue anglaise est utilisée pour les communications entre l’organisme ATS et les aéronefs dans les aérodromes enregistrant plus de 50 000 mouvements IFR internationaux par an. Les aérodromes régionaux suisses échappent de toute évidence à cette perspective européenne que les Etats peuvent d’ailleurs décider de ne pas appliquer.

Une étude française a conclu qu’il était justifié de ne pas rendre obligatoire en France l’utilisation de la seule langue anglaise, aucun événement démontrant le lien entre monolinguisme et sécurité. Les autorités françaises ont notifié à la Commission Européenne, ainsi qu’à l’Agence Européenne de Sécurité Aérienne, qu’elles ont décidé de ne pas rendre obligatoire l’utilisation de la seule langue anglaise sur les aérodromes visés par la règle SERA C 14015!

La Constitution suisse fixe les langues nationales en Suisse, garantit la liberté de la langue et interdit toute discrimination à raison de la langue. La Loi fédérale sur les langues prescrit que dans l’accomplissement de ses tâches, la Confédération doit veiller à accorder un traitement identique aux quatre langues nationales, à garantir la liberté de la langue dans tous les domaines de l’activité de l’Etat et veille à sa mise en œuvre. La Confédération doit tenir compte de la répartition territoriale traditionnelle des langues. La Charte européenne des langues minoritaires a été signée et ratifiée par la Suisse et étend cette protection. L’interdiction de s’exprimer dans une langue nationale/officielle viole donc des droits fondamentaux.

A tous les niveaux, les autorités fédérales et cantonales sont tenues de respecter la Constitution fédérale et le droit international lorsqu’elles légifèrent ou qu’elles appliquent le droit. Le Parlement n’est pas infaillible et il est ici arrivé qu’il commette une erreur en omettant les règles de droit supérieur. Mais toutes les autorités d’application du droit sont en principe tenues de refuser, d’office, de mettre en œuvre les dispositions d’actes normatifs qui sont contraires au droit supérieur. Nous sommes dans ce cas de figure.

Le message du Conseil fédéral à l’appui de l’introduction d’ «English Only » dans la loi sur l’aviation évoque de manière lapidaire un argument de sécurité mal fondé, contestable et contesté. Cet argument escamote le fait que dans le secteur aéronautique, le bilinguisme constitue la règle générale dans le monde entier. Les autorités suisses font d’ailleurs de l’argument de la sécurité un instrument à géométrie variable : dans l’AIP VFR (VFR COM-1-2) en effet, on lit que les places d’atterrissages en montagne, où se concentrent les atterrissages et décollages sans service de radio au sol, ont une fréquence utilisable en anglais, français, italien et dialecte suisse allemand. Et dans l’étude française citée plus haut, qui s’est penchée sur la situation suisse aussi, la position exprimée par le fonctionnaire suisse, entendu par la commission française, a été clairement considérée comme mal fondée !

Pour avancer sur la base de ce travail d’analyse juridique, le mouvement d’opposition à l’ «English Only » a lancé certain nombre d’actions :

1. Création d’un groupe de conduite coordonné par un pilote professionnel et pilote de planeur réputé,
2. Recherches juridiques et politiques, mise au point et tenue à jour d’un argumentaire,
3. Concertation avec M. le Conseiller national Matthias Jauslin qui a conduit au dépôt d’une motion au Conseil national le 21 mars 2019,
4. Sensibilisation des responsables de l’Aéroclub de Suisse lors de l’Assemblée des délégués le 23 mars 2019,
5. Sensibilisation de certains organes de presse et participation à des émissions et reportages sur ce sujet,
6. Concertation avec un certain nombre de parlementaires fédéraux,
7. Préparation d’autres démarches politiques,
8. Requête adressée à la direction de l’OFAC tendant à retenir toute démarche de mise en en œuvre d’ « English Only » et à engager un processus de correction en dialogue avec les milieux concernés,
9. Requête d’intervention adressée à Mme la Déléguée fédérale au plurilinguisme afin de faire respecter le droit dans ce domaine,
10. Sensibilisation de l’AOPA, de l’Association des Aérodromes, de la Fédération Suisse de Vol à Voile, de la Fédération Suisse de Vol à Moteur,
11. Interventions auprès de la Ville de Sion /direction de l’aéroport de Sion, ainsi qu’auprès de la direction de l’aéroport de Granges et de celle de Buochs,
12. Préparation d’une action judiciaire destinée à préserver les droits des pilotes sur les aérodromes concernés,

Photo : KEYSTONE/Salvatore Di Nolfi

Cette intense lutte va au-delà de la seule question linguistique. « English Only » démontre à quel point est nécessaire un engagement résolu de toutes celles et ceux qui veulent mettre un terme aux excès règlementaires dans le domaine de l’aviation.

Les contributions des pilotes valaisans à cet effet sont coordonnées par Vincent Favre, président du GVM :

Mail : president@gvm-sion.ch
Phone : 079/221.03.39)