Bientôt des caméras dans les cockpits d’avion ?

Un article bien intéressant qui suscite bien des débats que je partage volontiers. Ce qui se passe dans un poste de pilotage avant un accident ne peut plus faire l’objet d’une omerta de la part de la corporation des pilotes de ligne, a tranché la cour d’appel de Paris. Par Thierry Vigoureux (Le Point.fr)

La cour d’appel de Paris vient de débouter le Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), majoritaire à Air France, qui avait attaqué pour « violation du secret de l’instruction et du secret professionnel » les éditions Altipresse. Jean-Pierre Otelli, l’auteur, avait analysé dans le livre « Erreurs de pilotage » les conditions du crash de l’AF447 Rio-Paris. Dans un premier temps, le SNPL avait attaqué en diffamation et avait été débouté. Une deuxième action en justice du SNPL contre l’éditeur visait cette fois la violation présumée du secret de l’instruction et du secret professionnel avec recel. Le parquet a prononcé un non-lieu, avis partagé par le procureur de la République. L’ordonnance, attaquée en appel, a été confirmée par la chambre 3, pôle 7 de la cour d’appel de Paris, présidée par Mme Jaillon-Bru. En l’absence de pourvoi en cassation, cet arrêt (affaire 2016/07364 du 23 octobre 2018) fait jurisprudence.

L’atteinte portée à la vie privée des pilotes dans le cockpit « doit s’effacer devant la contribution à l’information du public sur une question d’intérêt général comme la sécurité aérienne », indique la justice d’appel française. La Cour européenne des droits de l’homme fait la même analyse de la limite de protection des informations confidentielles quand il s’agit d’un débat d’intérêt général considérable comme la connaissance des causes d’un accident ayant entraîné, pour le Rio-Paris, la mort de 228 personnes.

Les pilotes étaient-ils fatigués ?

Parmi les passages du livre qui auraient dû rester confidentiels selon le SNPL, un dialogue extrait du CVR (Cockpit Voice Recorder, enregistreur des bruits et conversations) fait état du souhait d’une hôtesse demandant de baisser la température en soute. Elle avait mis dans ses bagages des produits périssables. Le fait de changer le réglage d’un thermostat fait varier (très légèrement) la puissance demandée aux réacteurs. Cela constitue une action de pilotage, a-t-il été expliqué devant le tribunal, et n’a pas de caractère privé.

Ce qui gêne aussi le SNPL, c’est la révélation dans Erreurs de pilotage page 227 d’un dialogue entre les deux pilotes qui s’interrogent de savoir s’ils ont assez dormi. Cette partie du CVR avait soigneusement été occultée de la transcription officielle en annexe du rapport AF447 du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) pour la sécurité de l’aviation civile. Le BEA s’est d’ailleurs abstenu d’enquêter sur tout ce qui concernait la fatigue de l’équipage et, en particulier, les temps de repos et l’emploi du temps lors de l’escale à Rio. Cela aurait peut-être permis de mieux comprendre pourquoi les actions des pilotes ont été à l’inverse de celles qui étaient requises. Dans un rapport rendu le mois dernier aux juges du pôle accident collectif du TGI de Paris, les experts judiciaires estiment que « la cause directe de l’accident est la perte de contrôle de la trajectoire de l’appareil par l’équipage de conduite », et ajoutent plus loin que « cette perte de contrôle résulte des actions inadaptées en pilotage manuel » des deux copilotes aux manettes dans le cockpit.

Désormais avec cette jurisprudence SNPL/Altipresse, l’installation de caméras dans les cockpits devient possible, ce qui permettra de mieux connaître les causes de certains accidents et d’améliorer la sécurité des vols. Le processus est en cours auprès de l’aviation civile internationale (OACI) qui prépare une réforme en profondeur des enregistreurs de vol. L’échéance annoncée serait de 2023, le temps d’adapter les cockpits. Certains avions comme le Boeing 787 sont déjà pré équipés. Le respect de la vie privée est pris en compte. Le champ des objectifs des caméras devra permettre de voir seulement les instruments et les commandes avec les actions des mains des pilotes sur celles-ci. Pas question d’aller au-delà de l’épaule et de voir un visage. À raison de quatre images par seconde, ce ne sera pas à proprement parler de la vidéo mais suffisant pour analyser les actions aux commandes.

Histoire vrai :

Il était après 23 heures. le 30 mars 2013, lorsque l’hélicoptère du ministère de la Sécurité publique de l’Alaska a décollé près de Talkeetna, au nord d’Anchorage, après avoir secouru un motoneigiste échoué. La pluie verglaçante se transformait en neige plus abondante et la visibilité diminuait. En l’espace de quelques minutes, l’hélicoptère s’était écrasé, tuant son pilote, un policier d’état et la personne qu’ils avaient été envoyés en renfort.

Habituellement, les enquêteurs du National Transportation Safety Board doivent deviner ce qui s’est passé dans de telles situations. Mais quand ils ont examiné l’épave carbonisée de l’hélicoptère, ils ont trouvé un trésor dans les cendres: un enregistreur vidéo dans le cockpit. Les images, d’une caméra montée au plafond derrière le pilote Mel Nading, excluaient des problèmes mécaniques ou de la glace comme facteurs de l’accident. Au contraire, les enquêteurs pouvaient voir que Nading était confus. Il a permis à l’hélicoptère de ralentir et de se balancer d’avant en arrière, puis a tendu la main pour réinitialiser l’engin qui devrait indiquer si l’engin volait à niveau – une décision qui a scellé son destin, rendant très improbable qu’il reprenne le contrôle de l’hélicoptère « , A déclaré le NTSB dans son rapport. Dans le noir, sans une lecture précise, Nading n’avait aucun moyen de savoir quelle direction était en place. «Cela nous a vraiment donné l’idée que ce pilote était désorienté dans l’espace», a déclaré John DeLisi, l’inspecteur en chef de l’aviation du NTSB. « Sans cette vidéo, nous aurions regardé une pile d’épave incendiée, essayant de comprendre ce qui a causé la trajectoire erratique qui a conduit à cet accident. » Vision d’Appareo 1000 données de vol et système d’enregistrement vidéo.

Système d’enregistrement de données de vol et d’enregistrement vidéo Vision 1000 d’Appareo.

Depuis 2000, le NTSB a recommandé que la Federal Aviation Administration exige des caméras de pilotage. L’Air Line Pilots Association, le plus important syndicat d’équipages de vol en Amérique du Nord, s’est opposée au changement, affirmant que la vidéo peut être trompeuse, surtout lorsqu’il n’est pas clair si un pilote combat un dysfonctionnement ou fait perdre le contrôle d’un avion. L’argent dépensé pour les caméras serait mieux investi dans la formation et d’autres mesures de sécurité, dit le syndicat. « Les caméras dans le cockpit n’empêcheront pas un seul accident », a déclaré le président de l’ALPA Tim Canoll dans un communiqué.

Le problème pour l’union est que l’équipement vidéo est devenu si bon marché que les caméras sont de plus en plus communes dans les avions. Cela a fait leur bénéfice plus que théorique. Après l’accident de Talkeetna, l’agence de sécurité publique de l’Alaska a commencé à exiger que les pilotes reçoivent une formation aux instruments tous les 90 jours afin qu’ils puissent naviguer dans des conditions de voile blanc. (Nading n’avait pas eu une telle formation depuis 2003.) Il a également resserré les restrictions de vol par mauvais temps. « Les enregistreurs vidéo dans le poste de pilotage peuvent fournir des informations qui ne seraient pas disponibles autrement », a déclaré Christopher Hart, président du NTSB. « En termes simples, plus d’informations sont meilleures. Et la vidéo, par sa nature, s’est avérée être une source riche de cela.  »

En 2014, l’agence a examiné 60 caméras dans des cas d’aviation. La plupart impliquaient de petits avions privés ou des caméras de surveillance à l’extérieur de l’avion. Ils comprenaient l’écrasement du vaisseau spatial de Virgin Galactic, qui s’est rompu lors d’un vol d’essai en octobre 2014 dans le désert de Mojave. Les enregistrements ont montré l’un des deux pilotes, Michael Alsbury, activant un commutateur critique trop tôt, déclenchant la rupture en plein air. Alsbury a été tué. L’autre pilote a survécu après avoir parachuté au sol.

Des entreprises telles qu’Ostero Systems, Outerlink Global Solutions et L-3 Communications Holdings vendent des appareils vidéo pour le poste de pilotage, dont certains pour moins de 10 000 $. Selon le porte-parole Bob Cox, Airbus Helicopters, une division d’Airbus Group, installe la norme d’enregistreur vidéo Vision 1000 d’Appareo sur plusieurs modèles comme une amélioration de la sécurité. Les unités de caméra de cockpit sont généralement capables de stocker des données de vol ainsi que de la vidéo, donnant une image complète de la façon dont l’avion a été piloté. Sur des avions plus grands équipés de systèmes sophistiqués, la vidéo peut être stockée avec des données de vol et des enregistrements vocaux à l’intérieur de la boîte noire, qui peut résister à des impacts soudains et à des feux de carburant. Selon le NTSB, des unités plus petites telles que l’Appareo Vision 1000, qui faisait partie de l’hélicoptère du Département de la sécurité publique de l’Alaska, survivent souvent malgré une protection moins bonne.

Un porte-parole de la FAA a fait référence à des lettres que l’agence a envoyées au NTSB en disant qu’elle n’a pas l’intention de réviser sa politique sur les caméras de pilotage. Au moins un législateur américain, le représentant républicain de la Floride John Mica, dit qu’il va pousser pour une exigence de la vidéo du poste de pilotage l’année prochaine, lorsque le Congrès est prévu d’adopter une loi réautorisant l’agence de l’aviation. Les résultats du NTSB en Alaska et ailleurs, dit-il, « nous apportent certainement un soutien supplémentaire ».

La ligne de fond: La diffusion de la technologie vidéo dans le cockpit stimule la poussée du NTSB pour le rendre standard dans les avions.

Les pilotes ne veulent pas de caméras dans les cockpits

Alors que plusieurs agences de sécurité aérienne recommandent l’installation de caméras dans les cockpits des avions pour enregistrer les faits et gestes des pilotes pendant le vol à des fins de sécurité, l’International Federation of Air Line Pilots’ Associations (IFALPA), qui réunit 100.000 pilotes et ingénieurs de vol dans 100 pays, s’y oppose.

L’IFALPA a estimé le 21 avril que les enregistreurs de vol vidéo « n’ajouteraient rien de significatif aux enquêtes sur les accidents » . A l’appui de cette déclaration, la Fédération cite une étude menée en 2006 (CAP 762) par l’agence britannique pour l’aviation civile (CAA), qui a également montré, selon elle, que « les données visuelles sont toujours sujettes à des interprétations erronées, qui peuvent conduire l’enquête dans une fausse direction » .

En outre, l’IFALPA a identifié que, lorsque les équipages sont soumis à des enregistrements vidéo, même à des fins de formation, ils se comportent de façon très différente. « Il y a clairement une crainte des caméras, devant lesquelles les équipages se concentrent principalement sur la prévention des erreurs de comportement, au détriment de la prise de décision et de la résolution de problèmes » , a expliqué la Fédération. « La présence d’enregistreurs vidéo a également un impact négatif sur la volonté de l’équipage à signaler les événements, ce qui a en soi un effet négatif sur la sécurité et la prévention des accidents, et rend l’installation de ces enregistreurs contre-productif » .

Les pilotes redoutent aussi la « mauvaise utilisation » des enregistrements vidéo : rappelant l’appétit du grand public « pour des images sensationnelles » , leur Fédération « n’a aucun doute » que les images captées par des caméras dans les postes de pilotage seraient divulguées, de la même manière qu’ont été publiés les enregistrements audio lors d’accidents précédents. La Fédération cite l’exemple des vols Germanwings 4U9525, American Airlines 965 et GOL 1907. Ceux-ci « montrent les limites » des dispositions de l’annexe 13 de l’OACI concernant la protection des données des enregistreurs de voix qui sont actuellement installés dans les cockpits (CVR). En cas d’accident, « ce ne serait qu’une question de temps avant que les vidéos du poste de pilotage n’apparaissent sur différents supports » , estime l’IFALPA.

La Fédération évoque aussi une « violation massive » de la vie privée et des « droits fondamentaux » des équipages, qui serait bien trop lourde au regard des « gains minimes » que procureraient l’installation de caméras dans le cockpit, et du « taux extrêmement faible d’accidents dans l’aviation commerciale » . Elle soutient en revanche une amélioration de la technologie existante des enregistreurs de paramètres de vol (FDR) pour fournir une meilleure compréhension sur le comportement de l’avion.

« Par conséquent, jusqu’à ce qu’une mauvaise utilisation des enregistrements et des transcriptions soit effectivement empêchée, l’IFALPA restera fermement opposée à l’installation des enregistreurs vidéos » , a conclu la Fédération.

Rappelons que selon les normes internationales, les avions commerciaux sont actuellement équipés de deux sortes d’enregistreurs, les fameuses « boites noires » , qui retranscrivent les voix dans le cockpit (CVR) et les données techniques du vol (FDR).